Le carnet de campagne de Philippe Tettelin

Le carnet de campagne de Philippe Tettelin

Philipe Tettelin tenait un carnet de campagne. Il adresse ce carnet à sa jeune épouse Madeleine.

 

Laissez-moi vous lire quelques extraits du carnet de campagne de Philippe Tettelin, jeune soldat de 22 ans à peine.

(Merci à la famille de Philippe qui nous a autorisé à reproduire les extraits de ce carnet de campagne écrit par Philippe pour son épouse Madeleine Boulet. Les mots en italique ont été rajoutés. )

- Le 10 mai 1940 vendredi

Il était à peine deux heures. Je venais de me coucher quand le lieutenant entre en trombe dans le corps de garde de la caserne des chasseurs ardennais à Antheit et d’une voix sonore crie : « Alerte réelle ». C'est la guerre.

Je me mets en tenue et cours à mon poste. Le calme s’est subitement transformé en un retentissement de cris et de pas pressés. C’est une froide nuit de printemps et je reste dans le fortin, proche de notre casernement, jusqu’au matin.

Je retourne à la caserne vers 5 heures du matin, je mange en hâte... Je prends mon vélo et je retourne chez moi, rue des Potalles à Vinalmont.

Sur le pas de leurs portes, des gens affolés gesticulent. J’arrive chez moi tout trempé de sueur. Ma femme Madeleine vient à ma rencontre en pleurant ; je la console de mon mieux.

Elle m’apprête quelques friandises et de l’argent pendant que je me change. Je me rends sur la position et le soir arrive sans autre incident. La nuit, je dors sous une tente mais j’ai froid.

- Le 11 mai 1940 samedi

Durant la journée quelques survols d’avions ennemis ; tirs de DCA et des mitrailleuses anti- aviation.

En soirée, ma femme vient me rendre visite. Elle m’apporte de nouveau des friandises et des cigarettes ; elle s’en retourne, me promettant mieux pour le lendemain. Vers les 8 heures, la pièce est mise en batterie sur la route de Leumont. A 11 heures, mes camarades de la 10ème compagnie et moi quittons la place de Wanze à pied vers Moha et Bierwart. Durant ce trajet, une fusée éclairante nous surprend. Tout le monde se couche dans le fossé bordant la route. Nous continuons la marche.

- Le 12 mai dimanche

Nous arrivons de grand jour à Cognelée (Namur) où nous nous reposons dans un verger. Peu de temps après arrivent des avions. Ils nous survolent... les bombes pleuvent autour de nous : là, j’ai peur pour la première fois... La nuit vient, je rencontre deux amis perdus eux aussi. Nous allons dormir un peu parmi les Français, puis nous nous remettons en route.

Nous rencontrons la 9ème Cie. Nous sommes heureux de voir notre ancien ami de chambrée Charles et nous passons le reste de la nuit avec lui.

- Le 13 mai lundi

Au petit jour, nous rencontrons un TS (de l'escadrille du support technique) qui nous indique le chemin pour retrouver la Cie. Nous nous rendons sur les positions presque sans manger... Le soir nous nous mettons en route à destination du front.

- Le 14 mai mardi

Nous arrivons le matin à Marchovelette. Nous mettons en batterie dans le fond d’un bois, nous creusons des trous de fusiliers et des abris. Nous nous couchons près des pièces, enroulés sous nos bâches, mais personne ne dort.

- Le 15 mai mercredi

Dans le courant de la matinée, nous sommes obligés de prendre la fuite car nous sommes menacés d’être encerclés... En marchant, nous passons dans les lignes marocaines qui nous crient de nous cacher.

Les balles de Mi sifflent au-dessus des têtes : c’est déjà un char allemand qui est avancé. Puis nous arrivons près de Temploux, village très éprouvé ; une série de spectacles épouvantables se présentent à nos yeux. Sur une grande distance, le long de la route, nous voyons des trous de bombes tous les 10 mètres, des camions détruits, beaucoup de vaches tuées, les rails du tram tordus et, en passant dans le village, même vision d'apocalypse : un avion français abattu... dans un verger une trentaine de soldats tués et leurs vélos détruits, et aussi plusieurs immeubles en ruines. C’est les yeux pleins d’horreur que nous arrivons à Jemeppe.

- Le 16 mai jeudi

Nous traversons la ville de Charleroi... Nous passons dans Nivelles dont le clocher est abattu ; les rues sont encombrées de débris des façades de beaucoup de maisons... Toute la nuit les canons tonnent et on entend le vrombissement des avions.

- Le 17 mai vendredi

...nous cherchons un vélo ; mon camarade en trouve un ; ne restait pour moi qu’un vélo d’enfant ; j’attache mon masque à gaz sur le porte-bagages qui me sert de selle et nous nous mettons en route, suivant une colonne cycliste... Nous prenons la route de Gand et nous trouvons la Cie à Ravère où nous logeons.

- Le 18 mai samedi

Entre-temps, la cuisine a été bombardée et beaucoup d’hommes se sont perdus, notamment quelques camarades de chambrée. Les camions et les pièces se sont perdus aussi... Nous sommes arrivés à Petteghem. Mon copain Henry Brasseur et moi avons transformé la salle de bain d'une belle villa abandonnée en chambre à coucher.

- Le 19 mai dimanche

...A Deinze, nous assistons au départ des évacués. Triste spectacle ! Des gens paisibles doivent quitter leur foyer pour s’exiler dans un pays qu’ils ne connaissent pas. Mon copain et moi nous lavons les pieds dans la Lys, rivière au cours lent.

- Le 20 mai lundi

Toujours au repos. Dans le courant de l’après-midi, nous nous sommes remis à neuf : nouvelles chemises, chaussettes, veste, capote, guêtres et culotte. Journée très calme. Le soir nous sommes partis et sommes arrivés à Gottem.

- Le 21 mai mardi

Nous avons organisé les positions. N'ayant plus de pièces, la Cie a été transformée en « Cie fusiliers ». J’ai monté de garde jusqu'à minuit, puis je me suis couché. Le canon a tonné toute la journée et toute la nuit. Beaucoup d’avions ont survolé notre campement.

- Le 22 mai mercredi

Très tôt, nous nous mettons en tenue pour partir ; nous attendons jusqu’au matin sur la route, puis il y a un contre-ordre. C’était un exercice, paraît-il. Des avions nous survolent constamment dans la matinée.

Le carnet s'arrête là.



Le soldat Tettelin Philippe, de la 10ème Compagnie des Chasseurs ardennais, a été tué d'un éclat d'obus le 26 mai 1940 à Gottem.

 

Crédit photographique: 
Hervé Tettelin
Date: 
1940